Le président d’un service régional au travail rejette l’idée d’un système unique et centralisé au profit de regroupements régionaux mis en concurrence sur les appels d’offres des entreprises.
« Le cabinet du médecin du travail du futur doit être un lieu de partage, d’explication et de pédagogie »
Nous sommes face à un bouleversement profond de la médecine, qui va prendre de l’ampleur avec l’irruption massive et rapide du numérique et le développement de la télémédecine. Nous devrons maîtriser la convergence du numérique, de la robotique et de l’intelligence artificielle dans ce domaine. Par ailleurs, la montée des risques, notamment sanitaires et psychosociaux, et des addictions devrait inciter la médecine du travail à donner la priorité à la prévention, avant d’être obligé de soigner. En quinze ans, le nombre de salariés indemnisés par l’Assurance-maladie pour maladie professionnelle a augmenté de 7,5 %. Et le très fort taux d’accidents du travail place la France au 25e rang sur 28 de l’accidentologie en Europe. Nous devons également apporter des solutions contre l’absentéisme, le plus important en Europe à part l’Espagne et l’Italie.
Pour apporter les meilleures réponses, assurer les évolutions nécessaires et préserver la santé des salariés, il nous apparaît comme une priorité de regrouper les services de santé au travail interentreprises (SSTI), afin que, d’ici au 1er janvier 2022, chaque service suive au moins 100 000 salariés, un chiffre modulable au niveau régional. Seul un tel regroupement permettra d’avoir les moyens humains et financiers de mettre en place des outils numériques uniques et des process uniformisés avec des données consolidées au niveau régional ou national. Ces SSTI auraient une compétence régionale, afin d’éviter le lourd système des agréments territoriaux. Quant à l’organisme régional préconisé par le rapport de la députée (LRM) du Nord Charlotte Lecocq, il contracterait avec les SSTI sur des objectifs et des moyens.
En revanche, la création d’un monopole semi-public serait une erreur : un pareil organisme ne peut être disruptif et innovateur. Le tarif imposé sans possibilité d’adaptation et le prélèvement des cotisations par l’Urssaf, également prévus par le rapport Lecocq,
seraient tout aussi néfastes. Les chefs d’entreprise des TPE et PME considéreraient ces prélèvements comme un nouvel impôt. Il faut laisser la négociation libre, et permettre aux entreprises de lancer des appels d’offres donnant aux SSTI la liberté de proposer leurs tarifs et leurs prestations à partir du moment où il existe une offre de services de base et un tarif qui lui correspond. La formule de l’appel d’offres préserve et stimule les facultés d’innovation et de réactivité des SSTI, loin du « confort » qu’induirait un monopole semi-étatique.
Le regroupement des SSTI permettrait également d’aller au-delà du système national des données de santé (SNDS) existant. Deux projets sont déjà lancés avec le SNDS, sur la cardiologie et la maladie de Parkinson, malheureusement sans participation de la médecine du travail, faute pour la profession d’avoir anticipé cette possibilité. Il en va de même pour le dossier médical partagé.
Management de proximité
Quant à la télémédecine, largement développée en libéral et dans certains hôpitaux, elle est à peine naissante au sein des SSTI, même si la crise sanitaire a favorisé l’approbation de ces nouveaux outils par les médecins du travail. La création d’un « logiciel métier » unique connectant les outils des médecins du travail (mémoire des consultations, points de vigilance, agenda des rendez-vous en présentiel, etc.), numérisant le dossier médical et les questionnaires de visites, offrirait des marges de progrès. Comme pour beaucoup d’autres spécialités, la visibilité du passé médical du salarié et l’utilisation de l’intelligence artificielle pour attirer l’attention sur les points de vigilance deviendront essentielles en médecine du travail.
Enfin, pour revaloriser l’image, hélas médiocre, de la médecine du travail, il conviendrait de proposer aux internes en médecine des stages en SSTI pour qu’ils comprennent notre rôle. Les programmes de management des grandes écoles et des instituts universitaires de technologie pourraient également dispenser des cours de gestion de la santé au travail afin de mieux préparer leurs étudiants à leur rôle de manageur.
En conclusion, si, comme le souligne le rapport Lecoq, le système actuel n’est pas satisfaisant et nécessite plus que de légères améliorations, un système administré unique et l’absence de concurrence au profit d’une vision monopolistique ne peuvent être une solution. La concurrence est un moteur essentiel du progrès. Par ailleurs, un management de proximité est absolument nécessaire pour convaincre médecins et non-médecins de la nécessité d’un changement très profond : le cabinet du médecin du travail du futur doit être un lieu de partage, d’explication et de pédagogie pour entraîner le salarié vers les bonnes pratiques en matière de prévention.
Salariés et chefs d’entreprises s’interrogent aujourd’hui à la fois sur le coût et sur l’efficacité du système. Il est essentiel de les convaincre que la santé au travail n’est ni un impôt ni une contrainte, mais qu’elle deviendra, si on la réforme, un instrument de progrès mesurable pour la santé et la qualité de vies du salarié, mais aussi pour les résultats économiques de l’entreprise grâce à la baisse de l’absentéisme, des accidents du travail et du stress.